mercredi 30 septembre 2015

Les oriflammes, bannières, fanions et drapeaux de l'Histoire de France : la série 1370 des cartes postales des éditions Barré et Dayez

 E   lles sont bien connues des passionnés d'héraldique qui cumulent cette passion avec la fréquentation des bouquinistes, marchands ou collectionneurs d'objets anciens.  L'éditeur parisien de cartes postales illustrées Barré et Dayez s'est fait une réputation depuis 1925 par la qualité et la beauté de ses réalisations en lithographie et en couleurs. Elles sont facilement reconnaissables grâce au logo de l’éditeur : les lettres BD entrelacées dans un rectangle, au bas du verso qui comporte également un numéro de série suivi d'une lettre. La maison Barré-Dayez a édité d'innombrables séries thématiques : les plats régionaux, les petits métiers, les villes, les blasons, la chasse à courre, les moulins à vent, les coiffes régionales, les costumes de nos provinces, les cartes géographiques, les mots historiques, les fables de La Fontaine, les mois de l'année, etc… La fabrication s’est arrêtée au début des années '1970.
Dos d'une des cartes postales avec les différentes inscriptions identifiant notre série sur les emblèmes de l''Histoire de France
   Dans les années '1930/'1960, plusieurs séries de cartes postales héraldiques sont sorties de leur imprimerie et ont fait la joie des collectionneurs, dont je fais partie. Outre les blasons des provinces françaises, belges, ceux d'un grand nombre de villes françaises et d'Afrique du Nord ont été éditées, et aussi une série sur les armoiries des métiers et corporations de Paris que je vous avais présenté il y a quelques mois (voir ici ).  

 Je reviens aujourd'hui avec une autre série, numérotée 1370 composée d'un jeu de 25 cartes illustrées sur le sujet des  "Oriflammes, Bannières, Fanions et Drapeaux de France" de toutes les époques de l'Histoire de la France depuis le règne du roi des Francs, Clovis jusqu' à la IIIe République française. Ces cartes ont dû être commercialisées dans les années '1930 maximum '1940, car la dernière carte dans l'ordre chronologique est celle de la IIIe République, régime commencé en 1870, mais qui ne comporte pas de date de fin qui devrait être justement 1940. Les dessins sont signés du peintre et illustrateur Pierre Albert Leroux (1890-1959). Les drapeaux ou autres bannières et oriflammes sont accompagnés à droite d'armoiries avec le nom du souverain régnant sur un listel blanc et en-dessous la période du règne, ainsi qu'une couronne pour les périodes des monarchies, les plus nombreuses. 



  Pour la référence historique, il semble que les créateurs se soient très certainement inspirés d'études contemporaines, par exemple du travail de Désiré Lacroix, édité dans la deuxième moitié du XIXe siècle avec son livre : "Histoire anecdotique du drapeau français" (BNF Paris - département Littérature et art). Néanmoins des doutes subsistent sur la réalité historique de certaines de ces images et de ces drapeaux, et leur attribution à tel ou tel souverain, comme on le verra. Cela dit, cela n'enlève rien à la beauté et à l'attrait de ces cartes illustrées, très recherchées par les collectionneurs.

Avant de commencer, on sera d'accord pour dire que la présence d'armoiries pour illustrer le haut Moyen-âge est totalement abusive. En effet, chacun sait que les premiers écus armoriés apparus dans les combats ou sur les tournois, dans le but d'identifier leurs possesseurs, rendus méconnaissables à cause de leurs hauberts ou cottes de mailles et surtout des casques, remontent au mieux vers le milieu du XIIe siècle ! Et ce n'est que plus tard, que ces signes identitaires seront fixés et transmis aux descendants d'une même famille.
carte référencée 1370 Z
    Clovis, récemment converti au christianisme, aurait adopté comme enseigne la chape de Saint Martin de Tours qu'il aurait fait porter comme étendard lors de la bataille de Vouillé (en 507) contre Alaric, le roi des Wisigoths. La chape de Saint Martin était un voile de taffetas, qui avait recouvert son tombeau. Il symbolisait la légende de la moitié du manteau qu'il avait partagé avec un mendiant frigorifié, pour qu'il se couvre avec. La chape était conservée par les moines de l'abbaye de Marmoutier, près de Tours. Elle aurait souvent accompagné les chefs de guerre francs, successeurs de Clovis, comme relique protectrice, au cours de leurs campagnes et batailles et s'en retournait dans son abbaye d'origine après coup. La chape de Saint Martin sera remplacée 600 ans plus tard par l'oriflamme.  source textuelle : "Histoire anecdotique du drapeau français" de Désiré Lacroix.
  La chape (capa en latin, qui a donné aussi "la cape"), était conservée dans un petit édifice appelé "capella" qui est à l'origine du mot "chapelle" et le prêtre qui était chargé de la garde de la chape, y compris lors de ses sorties guerrières ou autres  s'appelait le "chapelain", un autre mot qui a évolué pour désigner un prêtre chargé d'une chapelle privée, scolaire, hospitalière, pénitentiaire ou monastique, etc...
  Enfin dans le langage héraldique, la chape est à l'origine du terme "chapé", qui désigne un écu divisé par deux lignes diagonales jointes au milieu du bord supérieur, et qui se terminent l'une à l'angle dextre, l'autre à l'angle sénestre, en forme de chevron, comme un manteau, une cape, posée sur les épaules de quelqu'un.


carte référencée 1370 Y

carte référencée 1370 X

 La bannière ci-dessus est trop moderne dans sa forme et par le sujet représenté qui est par nature très postérieur à l'époque en raison de la présence d'armoiries! J'ai expliqué la raison plus haut. Il y a visiblement une confusion malheureuse entre Louis II, roi des Francs de 877 à 879 et Louis II, Duc de Bourbon (1337-1410) qui n'a évidemment jamais été roi. 
De plus, les années de règne indiquées sur la carte correspondent au successeur de Louis II : Louis III, roi des Francs de 879 à 882 ! Donc : tout est faux .... 

carte référencée 1370 V


carte référencée 1370 U

C'est donc avec cette carte illustrant Philippe Auguste que réellement la présence d'armoiries est justifiée. Sauf que, le blason montré ici est celui dit de "France moderne" ou "de Valois": "d'azur (réduit) à trois fleurs de lys d'or", qui a été simplifié sous cette forme, à partir du règne du roi Charles V, dans la deuxième moitié du XIVe siècle ! Auparavant, c'est le blason "d'azur semé de fleurs de lys d'or" (France ancien) qui est correct.


carte référencée 1370 P


carte référencée 1370 Q

carte référencée 1370 R


carte référencée 1370 S

carte référencée 1370 T

carte référencée 1370 O


carte référencée 1370 N

carte référencée 1370 M

carte référencée 1370 L

carte référencée 1370 K

carte référencée 1370 A

carte référencée 1370 J

carte référencée 1370 I
Sur la carte ci-dessus le règne de Louis XIV, pourtant un des plus longs de l'Histoire de France, a été écourté malencontreusement, c'est 1643 - 1715 qu'il faudrait lire ! 


carte référencée 1370 H

carte référencée 1370 G

carte référencée 1370 F

carte référencée 1370 B

carte référencée 1370 C

carte référencée 1370 D

carte référencée 1370 E

Chaque série de cartes des éditions Barré & Dayez comportait au maximum 25 numéros. C'est quasiment une constante, parfois moins, mais jamais plus ! Par conséquent, il ne faut donc surtout pas considérer ce petit sujet comme la liste exhaustive de tous les régimes et monarques de l'Histoire de France, mais juste un "best of" ! En effet, de nombreux souverains manquent à l'appel et non des moindres : Pépin le Bref, Charles II le Chauve, Robert Ier, Louis VI le Gros, Philippe IV le Bel, Charles V et VI, Louis XVI, etc... Si toutefois les couleurs et signes portés sur leurs oriflammes, bannières, fanions ou drapeaux sont bien identifiés par les historiens, ce qui n'est pas une mince affaire pour les plus anciens d'entre eux !

Pour admirer quelques autres réalisations de la maison d'édition Barré et Dayez voici quelques sites de passionnés :
  • Passion Barré Dayez → ICI
  • Heraldry of the World (en anglais) → ICI

 et vous pouvez aussi les acheter ou les échanger grâce, en particulier, au site d'enchères spécialisé Delcampe, sur lequel je me suis d'ailleurs reposé pour réaliser ce sujet → ICI





                            Herald Dick
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samedi 26 septembre 2015

l'Armorial de La Planche - 1669 - Gouvernement de
l'Ile-de-France - Prévôté de Paris

 Q  uelques  semaines se sont écoulées depuis le dernier volet (voir l'épisode précédent → ) consacré a cet exceptionnel ouvrage de Pierre de La Planche, dont le titre exact est : "La Description des provinces et des villes de France", daté de 1669, pendant le règne du roi Louis XIV et qui est plus connu sous le nom "d'Armorial de La Planche". Voir la description initiale : →
Il est donc temps de reprendre la visite d'un des plus anciens manuscrits répertoriant des armoiries de villes et de villages de France, dessinées à la plume et peintes à l'aquarelle, antérieur de trois décennies  à l'Armorial Général de France de Charles d'Hozier !

 Nous avions laissé le dernier jalon en Guyenne, aujourd'hui renommée Aquitaine, en terminant par les provinces basques. Je vous propose de continuer... avec le commencement du manuscrit ! En effet j'avais entrepris d'ouvrir de manière arbitraire la découverte avec le Gouvernement de la Normandie qui était en fait le Livre Quatrième de l’œuvre. Il est donc temps de reprendre au Livre Premier : celui du Gouvernement de l'Ile-de-France. Nous verrons que cette entité administrative de l'époque, équivalente de nos régions actuelles, était découpée en 7 subdivisions : une prévôté, celle de Paris et six bailliages. Ces entités étaient administrées par un prévôt ou un bailli nommés par le roi, équivalent de nos préfets de nos jours. Nous débutons par la première entité de l'époque : la prévôté de Paris



Voici l'extrait d'une carte datant de la fin du XVIIIe s. , donc postérieure d'un siècle, mais sur laquelle j'ai reconstitué les limites administratives de notre région :
 Vous pouvez cliquer sur toutes les images pour les agrandir



Les fragments de manuscrits proviennent désormais du Volume I. Pour enrichir l'étude, j'ai mis en bonus l'extrait équivalent (quand il existe) dans l'Armorial Général de France* (1696-1711), établi par Charles-René d'Hozier, et comme auparavant, j'ai placé le blason actuel en-dessous, pour comparer les différences ou au contraire la constance des figures dans le temps.

(*) Armorial Général de France - volume XXIII - Paris 1ère partie
      Armorial Général de France - volume XXIV - Paris 2e partie (BNF Paris)
    



 Paris
L'image des armes de Paris, après avoir débuté avec une "nef à l'antique" sur les premiers sceaux de la ville (début du XIIIe s.), s'est muée peu à peu en un magnifique vaisseau de commerce à trois mâts vers les XVIe/XVIIe siècles comme nous les voyons sur les deux manuscrits ci-dessus. La nef originelle que nous connaissons bien aujourd'hui n'est revenue qu'au début du XXe siècle (1924 est une date admise, mais le décret fixant la définition du blason actuel est daté du 20 juin 1942). On remarquera aussi la devise "UN DIEU - UNE FOY / UNE LOI - UN ROY"  qui s'applique plutôt au royaume de France tout entier, et qui se traduit en gros par le fait que les lois royales se doivent de respecter en premier lieu les lois divines et en second lieu les lois fondamentales.
  On pourra s'amuser aussi avec la lecture du court extrait de texte sur l'éloge déjà très "parisianiste" sur les qualités exceptionnelles, la grandeur universelle de la capitale, de ses dirigeants et de ses habitants.





L'auteur : Pierre de La Planche, était un ecclésiastique jésuite de l'Oratoire de Paris. C'est donc bien normal qu'il fasse la part belle aux références à l'Église, par la description précise des lieux de culte du pays, y compris avec l'héraldique.




 Saint  - Denis
(Seine-Saint-Denis)
  Les armes et la devise, plus exactement le cri de guerre : "MONTJOYE SAINT DENIS" sont ceux des rois capétiens. L'abbaye et la basilique qui abritait les reliques du saint martyr Denis ont été le lieu d'inhumation de tous les souverains de France, à quelques rares exceptions, depuis les rois mérovingiens jusqu'au XIXe siècle. Ce qu'il reste aujourd'hui de cette gigantesque nécropole royale, après les ravages de la Révolution française, sont les magnifiques tombeaux et gisants visibles dans le chœur de l'église abbatiale de Saint-Denis.
  Dans l'Armorial des communes du département de la Seine, édité en 1900 (source : BNF Paris), l'auteur, Edmond Blanchard prétend qu'aucun document ne relie ce blason à la ville de Saint-Denis avant l'année 1750. Ce manuscrit antérieur d'un siècle prouve le contraire. Et mieux, j'ai récemment trouvé un autre manuscrit encore plus ancien, datant du XVIe siècle dont je parlerai bientôt, où sont rassemblés quelques blasons de bonnes villes de France de l'époque, parmi elles la ville de Saint-Denis avec un blason qui est "d'azur semé de fleur de lys d'or au chef d'argent chargé de l'inscription en lettres de sable, sur deux rangs : MONT JOIE - ST DENIS ".
 Ce blason est aussi attribué au vieux "pays de France", la micro-région géographique située au nord-est de Paris, et qui a donné son nom à notre pays.



 Poissy (Yvelines)

 Tout ce qu'on peut certifier, c'est qu'il s'agit d'armes parlantes : poisson / Poissy !
 Il y avait en ce lieu au Moyen-âge, un château royal, le roi Louis IX (Saint Louis) y est né en 1214. Plus tard un monastère royal fut aussi construit, mais l'ensemble a disparu sauf l'église collégiale Notre-Dame de Poissy, magnifique.  Voilà qui justifie les trois fleurs de lys d'or sur champ d'azur. Mais pourquoi l'une d'elle est-elle coupée et placée à dextre mouvant du champ, face à la gueule du poisson, ce qui rend ce blason très intriguant ? Aucune explication n'est assez convaincante pour être affirmée. 



Brie - Comte - Robert
(Seine-et-Marne)

 À la fin du XIIe siècle, Robert de Dreux, frère du roi de France Louis VII, fonde la ville de Brie-Comte-Robert qui porte son nom, et y fait bâtir son château, dont de beaux vestiges existent encore de nos jours.
On remarquera ici encore une fois, un changement d'émail gueules ↔azur, au cours du temps, assez courant dans l'héraldique civique française. Les exemples ne manquent pas.



Corbeil (ancienne commune)
Corbeil - Essonnes (Essonne)



Moins évidentes qu'à Poissy, nous avons ici encore des armes parlantes : cœur bel / Corbeil.
Les deux villes de Corbeil et d'Essonnes, aux territoires et quartiers imbriqués depuis des siècles, ont fini par fusionner en 1951. Mais leurs blasons respectifs sont restés séparés, malgré quelques tentatives de fusion infructueuses. La commune est donc représentée par des armoiries comportant les deux blasons accolés posés en V. 




[_)-(_]


D'autres lieux ou villes sont juste décrits par le texte sans blason ni mention s'y rapportant :
l'Université de Parisle château de Vincennes, Saint-Maur (-des-Fossés), Charenton (-le-Pont), Meudon, le château de Versailles, Saint-Cloud, le Mont Valérien, Rueil (-Malmaison), Nanterre, Boulogne (-Billancourt), le château de Madrid (à Neuilly-sur-Seine, disparu), Notre-Dame -des-Vertus (à Aubervilliers), l'abbaye royale de Saint-Denis, Argenteuil, l'abbaye de Joyenval (à Chambourcy, disparue), Saint-Germain-en-Laye, Montmorency, le château d'Écouen, Gonesse, Dampmartin (Dammartin-en-Goële), l'abbaye de Jully, Chelles, Tournan (-en-Brie), le château de Grosbois (à Boissy-Saint-Léger), l'abbaye d'Hierre (Yerres), le château de Villeroy (à Mennecy, disparu), le bourg de Châtres (aujourd'hui : Arpajon), Limours, Montlhéry, Chevreuse, Gif (-sur-Yvette), l'abbaye de Port-Royal (à Magny-les-Hameaux), Villepreux, Noisy-le-Sec.
 
 # cependant, quelques années plus tard, quelques lieux ou villes (en gras, ci-dessus) ont été enregistrés et blasonnés dans l'Armorial Général de France, certains sont à l'origine des établissements religieux dont le blason a changé depuis de destination: de l'église il est passé à la ville :

Saint - Cloud , commune
 (Hauts-de-Seine)

 • version originale, en partie masquée par la pliure du volume :
 • version reconstituée par Herald Dick : 
Abbaye royale de
Saint-Denis


Chelles , commune
 (Seine-et-Marne)


Gif -sur- Yvette
commune (Essonne)





A bientôt pour une nouvelle série ... →  ICI


Crédits :
les blasons "modernes" sont empruntés  à :
armoiries.free.fr/accueil/
armorialdefrance.fr/
www.poissy-tourisme.fr/
 
les extraits des manuscrits proviennent de :
- Bibliothèque et Archives du Musée du Château de Chantilly :
   . www.bibliotheque-conde.fr/ressources-en-ligne/
- Bibliothèque nationale de France à Paris : 
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111471q/f3.item
   . gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k111473g/f2.item
 



  Et je remercie particulièrement les personnes responsables de la Bibliothèque et des Archives du Musée du Château de Chantilly :  www.bibliotheque-conde.fr/


             Herald Dick